Sama - Meilleur Roman Policier du monde !

Patricia Moukarzel
 
 

EXTRAITS



 

Au réveil, même paysage, même décor, même vacuité en moi et tout autour. Le ton moqueur de Ma Tête rompt le silence : Eh bien voilà, je le savais !

Je souhaite le bonjour à mon cadavre ; elle n’y est pour rien après tout. Mes premières pensées sont pour elle. J’ai la certitude de ne pas l’avoir tuée. Mais aussi qu’elle ne méritait pas de mourir, et que j’éluciderai son meurtre. Je compte me donner, ainsi qu’à mon cadavre, un délai précis pour ce faire. Je n’aime pas laisser traîner les choses. Mais je ne sais toujours pas l’heure qu’il est, et l’obscurité obstinée de la ville ne me fournit aucun indice là-dessus. « Je trouverai ton assassin au plus vite, dans les plus brefs délais. Ne t’en fais pas. » Voilà, ça doit l’avoir rassurée. Même si personnellement, ça ne m’a fait ni chaud ni froid.

Mince, je n’ai pas le numéro de téléphone de mon amour d’ascenseur. Je ne connais même pas son nom. Je devrais faire plus d’effort, si je veux que cette relation réussisse. Cela dit, ce n’est pas comme si ma nonchalance l’avait gênée. Elle était trop occupée à vouloir tout savoir sur moi. J’avais satisfait sa curiosité autant que possible. Grâce à mon don proclamé pour le leurre, et avec la bénédiction de Ma Tête, je lui avais parlé de mes amis – Oui, tu as bel et bien des amis, aussi improbable que cela puisse paraître –, de mes chats, mon voyage en Italie et ma phobie des pandas.

Je me lève, me douche, et pars travailler, dans l’espoir de la croiser. Nos chemins ne se croisent pas. C’est elle qui me trouve.

Elle fait son entrée dans mon bureau, alors que je m’apprête à me pincer pour m’assurer que je ne rêve pas. Manœuvre un peu tardive, mais je viens juste d’y penser. Elle m’assure qu’elle comprend mes airs mystérieux. Le mystère est-il une caractéristique des âmes perdues ? Je ne lui pose pas la question ; à quoi bon ? Elle n’a pas d’inconvénient à y aller doucement. Elle n’exige pas mon numéro. Elle est vraiment très compréhensive ; voire un peu trop. Cache-t-elle quelque chose ? Je dissimule mon absence d’identité. Qui dit qu’elle ne fait pas pareil… ou pire ? Et si c’était elle, l’assassin ? Quoi de mieux pour se tirer d’affaire en toute impunité que de garder l’œil sur le suspect numéro un ? Je ne connais cette femme ni d’Adam ni d’Ève. Je crois qu’il est grand temps de lui prêter attention.

Je me mets à l’écouter. À lui poser des questions. Le métier de psy a ses avantages, somme toute. Je découvre qu’elle a eu une enfance tranquille, des parents aimants. Ma Tête affirme que moi aussi : Que tu l’aies mérité ou pas, on s’est bien occupé de toi. Je ne dis rien. Pour quoi faire ? Elle a fait des études de chimie et travaille dans le laboratoire de l’hôpital, ce qui explique sa présence permanente sur les lieux. Elle n’est pas là pour m’épier. Tout cela reste à vérifier, bien sûr. Plus tard. Maintenant, je me concentre sur ses paroles, pour mieux la jauger. Ma concentration est en dents de scie, jusqu’à ce que j’entende : « Le pire n’était même pas les coups. »

« Pourtant, un coup de cœur, c’est affreux », je rétorque en riant. Elle fronce les sourcils. Je déguise mon rire en toux.

Il s’avère qu’elle a été victime de violence conjugale pendant des années. Je ne comprends pas pourquoi elle n’est tout simplement pas partie. Malgré tout, j’essaie d’afficher une expression d’empathie. Elle s’est juré qu’on ne l’y reprendrait plus… Or, la voilà, confiant ses secrets les plus inavouables à quelqu’un de potentiellement criminel (possible mais improbable). Qui de toute façon s’en fout, si ce n’est de sa vie, du moins de son histoire. Chapeau pour le bon jugement. Avec pareilles fréquentations, franchement, elle ne mérite pas mieux. Je ne partage pas mon avis avec elle, de peur qu’elle ne cesse de me fournir de nouvelles informations. Mais elle a déjà fini de parler. Plus rien à savoir. Elle a tout dit. Quelle normalité inintéressante.

Son interrogatoire n’ayant mené nulle part, je n’ai plus qu’à aller à la recherche de preuves. Mais d’abord, son nom. Je fais comme si on venait de se rencontrer ; ma manière de lui signifier mon acceptation de cette nouvelle facette de sa personnalité. Je lui tends la main. Je ne me présente pas. Si jamais je ne suis pas Alex, je préfère ne pas paraître schizophrène, quand en réalité j’ai à peine une seule personnalité.   

___________

 

État des lieux : Moi Détective (MD) suspecte Moi Suspect (MS) d’avoir assassiné mon cadavre. Mobile : inconnu. Preuve : MS a trouvé le corps. La Tête de MS assure que MS cache quelque chose. MS est devenue amnésique, comme par hasard.

Date et heure : Troisième jour de mon existence actuelle. Toujours pas moyen de savoir l’heure qu’il est.

Lieu : Mon appartement.

Compte-rendu des événements :

Me suis assise avec MS autour d’une table. MS avait l’air mal à l’aise. Sans doute parce que la chaise est inconfortable. Me suis mise à retranscrire en simultané notre conversation.

MD : Allez, dis-moi tout. C’est le moment où jamais. Concentre-toi et essaie de te souvenir… Personne ne te juge. Bon, exceptée Ma Tête, mais on n’écrira rien de ce qu’Elle dit, je t’assure. Tu peux me faire confiance.

MS : Merci… J’espère que ça va fonctionner… Bon, quand il faut y aller, il faut y aller : Je ne sais pas qui je suis…

MD : Mais encore ?

MS : Comment donc, mais encore ? C’est tout l’effet que ça te fait ?

MD : Tu prenais cette pseudo-révélation pour une chute ? J’aurais dû tomber des nues ? Ça fait trois jours qu’on se côtoie, alors forcément j’ai remarqué ta crise identitaire. Et puis c’est moi qui pose les questions ici. Avez-vous tué mon cadavre ?

MS : Je ne m’en souviens pas.

MD : Avez-vous connu mon cadavre ?

MS : Je ne m’en souviens pas.

MD : Avez-vous aimé mon cadavre ?

MS : Je ne m’en souviens pas.

MD : Aimes-tu la pizza ?

MS : Non.

MD : Ah ha ! Enfin, du progrès !

MS : Ah bon ?

MD : Bien sûr ! Tu viens de te rappeler une information des plus importantes. Un homicide, c’est important. Non ?

MS : Oui.

MD : Tu vois, tu te rappelles ce fait. Donc, si tu avais effectivement tué mon cadavre, tu t’en serais souvenue.

MS : C’est logique.

MD : N’est-ce pas ?

MS : Tu peux me demander comment je m’appelle, s’il te plaît ?

MD : Comment tu t’appelles ?

MS : Je ne m’en souviens pas.

MD : Alors ce n’est pas important. Merci, MS, de votre coopération. Je ne vous retiens pas plus longtemps.

Notes :

- Je suis hors de cause.

- Ne jamais commander de pizza (si jamais je réussis à manger).

- Ne plus laisser Ma Tête me jouer des tours.

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