Elle s’assied dans son lit. Elle voudrait tant pouvoir retourner à cette première soirée. Mais aussi, voudrait qu’elle n’ait jamais eu lieu, parce qu’elle ne pourra plus jamais revenir à avant que tout ça ne soit arrivé.
Tout au long de leur relation, elle avait eu des doutes, l’un des plus récurrents étant sa peur obsessionnelle d’ennuyer Ian au point de le perdre.
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Je ne me suis jamais demandé pourquoi j’aime Anna, ou ce que j’aime chez elle. Pourtant, en la regardant, la redécouvrant, tout est devenu clair : je ne sais pas si elle est belle. Je n’y ai jamais vraiment réfléchi. Mais je sais que chacun de ses traits est unique et fascinant. Ses cheveux bleus, son cou, sa bouche… et ses yeux. Sa façon de me regarder, en biais la plupart du temps. Son sourire coquin qui me donne envie de lui mordre les lèvres. Ses bras et ses doigts nerveux. Ses ongles de garçon qu’elle décide parfois de faire pousser pour avoir des « ongles de sorcière », longs, acérés et peints. Son corps.
Je l’aime ; j’aime son énergie, son rire, son mystère, son esprit. Sa timidité. J’aime qu’elle est consciente de me savoir reconnaître que les sentiments qu’elle exprime sont bien inférieurs à ceux qu’elle tait.
Elle se demandait à voix haute si nous allions sortir et explorer la nature alentour, ou rester à l’intérieur. Et s’il y avait assez de bûches dans la cabane, ou si elle avait assez de bougies pour le gâteau, ou si… Un instant. Je tire sur les laisses. Est-ce qu’elle m’a quitté parce que j’ai vingt-cinq ans et elle quarante-six ?
Mais non, quand même pas à cause de ça ! Pas elle. C’est vrai que nous n’en avons jamais discuté, mais je sais qu’Anna ne se préoccupe pas de ce genre de choses. Seuls ceux qui s’inquiètent du regard des autres se soucieraient de ça, et ce n’est pas le cas d’Anna. Qu’est-ce que la différence d’âge, ou l’âge tout simplement, ont à voir avec l’amour ? N’importe quoi…
Bon, j’ai toujours été attiré par des femmes plus âgées, sans pourtant penser qu’un jour je tomberais amoureux de l’une d’elles. Sinon, aucune différence pour moi. L’amour est l’amour.
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Anna se regarde dans le miroir, respire profondément puis commence à calculer les montants dans sa tête en se brossant les dents…
Mais brusquement elle laisse tomber sa brosse à dents dans le lavabo, attrape une serviette et sèche son visage. Puis sort de la salle de bain en courant et se dirige droit vers la porte d’entrée. Elle l’ouvre mais il n’y a personne. Elle a dû imaginer la sonnerie. Elle la referme donc et se retourne pour repartir dans la salle de bain, mais s’arrête net.
Lentement, Anna tourne la tête, puis son corps. Elle est à nouveau face à la porte. Les yeux rivés sur la poignée, elle sent son sang se retirer de son crâne, et une sueur froide lui agripper le cou et les épaules. Son corps se remplit de la douleur réprimée de la veille, et de tout ce qu’elle a refoulé le long de ces dernières semaines. Elle s’écroule par terre et commence à trembler.
Tout est immobile et silencieux pendant quelques minutes. Puis brusquement Anna se secoue pour échapper à la force du vide qui l’aspire et menace de l’avaler tout entière. Elle se lève et avance comme une automate jusqu’au coin de la salle de séjour où se tient son chevalet. Elle saisit un gros pinceau, le trempe dans un pot d’épaisse peinture rouge et en balafre la toile blanche. Tout s’arrête, jusqu’à ce que la sonnerie de la porte déchire le silence.
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Ne pas s’intéresser à la musique est un concept que je ne peux pas comprendre ! J’étais déconcertée.
Puis il a ajouté, entre ses dents, les yeux fixés sur le mur en face de lui, qu’il ne pouvait rien y faire. Et qu’il était malheureusement conscient que son manque de sensibilité à la musique risquait de me refroidir.
Pas du tout ! Son souffle a effleuré mon cou pour une seconde éphémère puis j’ai senti ses lèvres… qui ne s’y sont pas attardées non plus. Il s’est calé à nouveau dans le canapé et a pris ma main droite dans la sienne. Et nos poignets ont commencé à dessiner des cercles, pendant des minutes infinies. Puis il m’a regardée dans les yeux, a pris une profonde inspiration et m’a dit, doucement, qu’il avait compris, à la minute où il avait vu mon visage, que notre connexion est organique. Et qu’il sentait, dans ses os, qu’elle a été créée dans une autre dimension. Puis il a replongé dans son silence. Mais un silence différent cette fois, encombré et chaotique.
Je n’ai pas voulu tenter de comprendre ou d’expliquer ; le flou autour de nous était électrisant, et j’aimais les picotements d’excitation. J’ai donc décidé qu’il n’y avait aucun besoin de sur-analyser.
J’ai eu tort.
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Je compte plus de hauts que de bas dans ma vie, jusque-là, et je sais que les amis dont je me suis entourée le long des années, ceux qui sont restés et ceux qui ont disparu, et tous les nouveaux venus, m’envient et envient ma rage de vivre ; ils me l’ont dit. Ils savent cependant prendre du bon temps, et c’est la seule chose et tout ce que j’attends d’eux. Je n’ai jamais essayé de chercher, voulu avoir, ou regretté de ne pas avoir une ou un ami proche à qui me confier ; mes peintures sont, depuis toujours, mon journal. Des personnes que j’invente à coups de pinceau, auxquelles je raconte mes histoires à travers les traits qui les dessinent.