Les jours suivants, Tarek jette de fréquents coups d’œil au ventre rond de Shava, hésitant souvent avant d’ouvrir une nouvelle boîte. Puis, un soir, en pleine conversation téléphonique et évoquant la prise de poids suspecte de l’animal, il se tait brusquement.
– Eh bien… oui… je suis… presque certain que c’est un mâle.
Après une brève pause, il ajoute :
– Non, je n’ai jamais vu ses couilles. Tu as raison, c’est peut-être une femelle enceinte.
Il raccroche, un peu agité, puis se lève brusquement et se dirige vers le canapé où Shava dort paisiblement.
– Shava… Euh… Comment dire… ? Je peux voir ton… entre-pattes ?
Shava le regarde alors qu’il essaie de soulever une de ses pattes. Au bout de quelques tentatives infructueuses de Tarek, la chatte s’énerve et saute du canapé. Tarek la suit à quatre pattes et, après quelques minutes de course-poursuite au ralenti, Shava s’installe ailleurs et dans une position différente. Et Tarek parvient à voir son entre-pattes.
– Tu es une femelle… Je suis foutu.
– Miaou.
Et elle se rendort.
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– C’est parce qu’elle est enceinte qu’elle dort tout le temps ?
– Non, je pense que c’est normal pour les chats.
Pendant toute une semaine, la conversation de Tarek tourne essentiellement autour du temps de sommeil des chats.
– Je ne comprends pas comment les chats ont survécu à l’évolution, avec le temps qu’ils passent à dormir !
– Justement, répond Marc, maintenant qu’ils ont survécu, ils profitent d’un repos bien mérité.
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– Tu savais que les chats éduquent aussi leurs chatons en les frappant ?
– Eh bien, mes parents ne m’ont jamais frappée, en aucun cas !
– Tu sais ce que je veux dire ! Et puis, si ton père était au courant de ta multitude d’amants, il n’y a pas une chance qu’il le fasse ?
Leyla s’esclaffe.
– Peut-être pas mon père, mais certainement mon oncle – et mon grand-père aussi. Et tous les cousins. Tu n’as pas tout à fait tort.
Alors qu’ils poursuivent leur conversation, on sonne à la porte. Tarek fronce les sourcils.
– Je n’ouvre jamais quand je n’attends personne. Mais avec toi ici, on va peut-être se sentir bizarre.
Lorsqu’il ouvre la porte, Anne, la voisine française, se tient devant lui, l’expression confuse et perplexe. À environ un mètre derrière elle, un jeune homme aux yeux bleus, vêtu de vieux vêtements, semble attendre. Anne s’excuse du dérangement, puis explique qu’elle a besoin d’aide. L’homme qui attend est un réfugié syrien qui l’a suivie dans la rue et lui a demandé de l’épouser, dans l’espoir d’avoir une chance de s’installer en Europe et une vie meilleure. Tarek reste interloqué quelques secondes, puis invite Anne à entrer. Il explique au Syrien qu’Anne est déjà mariée. L’homme prend acte de cette information et demande à Tarek de lui demander si elle a une sœur.
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Le sixième et dernier étage de l’immeuble Karam, adjacent à l’immeuble Pétunia, abrite une famille de quatre personnes : Mansour, sa femme Samar, et leurs deux enfants, une fille et un garçon, Nour, dix ans, et Miled, onze. Le lendemain de la Saint-Valentin, alors que son père engloutit une omelette à six œufs pour le petit déjeuner, Nour s’approche furtivement de lui et lui chuchote à l’oreille que sa mère est contrariée parce qu’elle n’a pas reçu de cadeau pour la Saint-Valentin.
Les yeux de Mansour s’écarquillent :
– La Saint-Valentin ? Pourquoi ? Depuis quand ?
– C’est le jour des amoureux.
– Je sais, j’ai vu ces conneries à la télévision. Laisse ces futilités aux Occidentaux et laisse-moi finir mon petit déjeuner.
Leur conversation est interrompue par des aboiements insistants provenant du toit.
– Blackie aboie de plus en plus dernièrement, dit Samar en entrant dans la cuisine.
– Il y a un chat de rue qui passe souvent.
– Un chat de rues sur le toit ?
– Oui, je l’ai vu. Je ne sais pas pourquoi il est là si souvent.
Quelques jours plus tard, Miled révèle à la famille qu’il a vu le chat noir et blanc (avec une marque en forme d’étoile sur le front) escalader le grillage qui sépare le toit de leur immeuble du balcon du voisin.
– C’est le chat du voisin ?
Mais personne n’en sait rien. Samar promet donc d’enquêter et découvre vite une information de première importance : le voisin achète souvent de la nourriture pour chats. Il devient donc, avec ses longs cheveux bouclés et ses habitudes occidentales, le principal sujet de conversation de la famille pendant quelques jours.
– J’ai demandé à Mona de me parler de lui ; il vit ici depuis plus d’un an, pourtant personne ne connaît les détails de sa vie personnelle, pas même son métier.
– Il a l’air gay. Tu penses qu’il est gay ?
– Certainement.
– Au diable l’Occident et sa débauche.
– Ouaf, ouaf, ouaf.
– Et au diable ce satané chat.
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Le matin du troisième jour, Shava revient, émaciée, couverte de terre, la tête basse. Elle entre puis se retire dans son coin habituel, ne montrant aucune envie de manger. Désemparé, Tarek saisit son téléphone et commande une boîte de pâtée premier choix.
– C’est génial ce truc, à Beyrouth : Pouvoir commander n’importe quoi à n’importe quelle heure. On n’a pas ce luxe en France ! Et pourquoi tu as ce sourire quand je dis ça, ce n’est pas une fierté nationale non plus !
Quand la pâtée arrive, Tarek ouvre la boîte et Shava lève un sourcil, puis l’autre, renifle l’air autour de sa tête, puis saute sur ses pattes.
– Miaouuu ! vocalise-t-elle avec insistance.
– Oui, Shava, je sais. C’est pour toi. Mais comprends bien que c’est un traitement spécial. Parce que tu as perdu tes petits. Nous n’en ferons pas une habitude.
Adeline s’esclaffe.
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Pour fêter le retour du chaton, des messages matinaux sont envoyés aux voisins préférés et, bien sûr, une boîte de thon est ouverte. Mais lorsque Tarek s’approche, chaton dans les bras, pour annoncer l’heureuse nouvelle à Shava, elle siffle au visage du petit.
Sur le coup, Moustache retrouve son expression désespérée, celle de porter tous les malheurs du monde sur ses petites épaules de chaton.
– Elle ne reconnaît plus son propre petit. Ça arrive souvent après une absence.
Puis, après un silence, tournant son visage vers Chloé et lui souriant, Adeline ajoute :
– Ça ne nous arrivera jamais, mon petit ange !
Chloé sourit en retour.
– Shava, essaie Tarek, pédagogue, ça ne fait qu’une semaine, fais un effort et essaie de…
– Sssss ! Ffft !
Moustache reste silencieux, les yeux et les paupières pleines de chagrin. Ce soir-là, Tarek donne au chaton un bain prudent, sous la surveillance vidéo de son ami vétérinaire. Pendant l’opération, Moustache ne bouge pas et n’émet aucun son.
– Le pauvre. Je pense le laisser dormir à côté de moi cette nuit.
– Oui, Chloé, je te promets : Si Papa continue à s’occuper des chatons plus que de toi, je te trouverai un autre papa, c’est promis.
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– Devine quoi chérie… Shava est encore enceinte !
Il se tourne vers la chatte.
– Tu sais qu’un autre t’aurait fait avorter et castrer une fois pour toutes ?
– Miaou.
– Oui, tu devrais avoir honte et…
À ce moment-là, une forte explosion éclate au nord-ouest, brisant l’une des fenêtres de l’appartement et éparpillant des éclats dans tout le salon. Shava se cache rapidement sous un canapé tandis que Tarek pousse un profond soupir.
Dans la salle de bains, Chloé lève un sourcil surpris, puis éclate en pleurs paniqués.
Adeline regarde la fenêtre d’un air terrifié.
Sur le balcon, Moustache et Popeye se figent.