L’Écriture inclusive Eukalypto
 Égalité ; Clarté ; Fluidité

 

L’écriture inclusive, si elle est aujourd’hui devenue presque incontournable, n’a pas encore atteint de consensus universel auprès de l’ensemble de la population francophone.

En effet, il est extrêmement difficile de changer une langue du jour au lendemain, surtout à un niveau aussi fondamental que celui des genres. Et pourtant, la demande d’inclusivité, si elle choque les personnes les plus conservatrices, n’en demeure pas moins une revendication légitime.

Comment la mettre en application sans dénaturer la langue, sans alourdir la lecture ? Comment imaginer une écriture inclusive sans ces points médians et consorts, qui ralentissent le flux de lecture, encore plus dans les textes qui se veulent littéraires ? Sans ces « teurs-trices » qu’on ne sait jamais comment lire – car justement ils sont illisibles et lourds ? Faut-il aller, comme un certain courant littéraire anglophone, jusqu’au point extrême où le féminin serait le genre neutre ou mixte par défaut pour compenser des siècles de domination du masculin ?

La charte ci-dessous tente de répondre aux questions soulevées et de proposer une écriture inclusive à la fois cohérente et fluide, juste et musicale, compréhensible et équitable.

Cette charte, élaborée par les éditions Eukalypto, a été mise en application dans la version française du roman « Les Chats des toits », que vous pouvez commander ici.

Trois points principaux constituent cette charte :

·       La règle de proximité ;

·       L’introduction d’une liste de pronoms neutres au niveau du genre ;

·       La recherche d’un équilibre féminin/masculin dans le binôme nom / adjectif.

 
1- La règle de proximité

 

Commençons tout d’abord par les accords de genre. Et profitons d’une règle qui a longtemps été de mise mais un jour abandonnée, au profit de la domination du masculin en toute circonstance. Cette règle est la règle de proximité, extrêmement simple à comprendre et appliquer : Dans le cas d’une association de mots de genres différents, les adjectifs et participes concernés s’accordent avec le mot le plus proche d’eux dans la phrase. Exemple :

Ces femmes et ces hommes sont beaux.
Ces hommes et ces femmes sont belles.

Il faudra certes un peu de temps pour s’y (ré)habituer, mais voici une règle qui résout déjà un certain nombre de cas de figures et semble parfaitement juste et logique.


2- Les déterminants neutres

 

En cherchant des solutions pour indiquer un genre neutre, indéterminée ou mixte, nous avons réalisé que, dans la langue française et la quasi-totalité des cas, un nom commun est introduit ou accompagné par un déterminant (article ou pronom) : Ma, duquel, toutes, etc.

Donc, pour signifier aux lecteurs et auditeurs (de tous genres, cela va sans dire) qu’un mot est de genre neutre, ou englobe les deux, il pourrait suffire de modifier l’article ou le pronom qui l’introduit. Cela résout déjà la question, du moins au niveau de la compréhension. Certaines nouveautés du genre, comme iel/iels, sont déjà bien intégrées. Par exemple, en parlant d’un jeune chaton dont on ignore encore le sexe, on écrirait :

Iel a mangé toutes ses croquettes.

Et bien sûr et surtout, en parlant d’un groupe mixtes d’humains, on écrirait :

Je sais où se trouve George et Leyla : Iels se trouvent dans l’appartement du dessus.

Les pronoms iel et iels étant présentés, logiques, et déjà entrés dans les mœurs, faisons suivre par les pronoms définis :

Pour la version neutre de « le/la », l’usage « lae » ou « læ » est déjà relativement répandu.

À Eukalypto, nous avons choisi “læ” car la prononciation “laé” semble assez lourde, tandis que le graphème æ existe déjà dans la langue française (ex æquo, curriculum vitæ, pygære, etcætera). Nous nous intéresserons plus loin à sa prononciation.

De plus, l’e dans l’a, par son intrication des deux lettres, transmet l’idée d’une fusion des genres, un mélange équitable et qui les neutralise, évoquant même un peu la notion de yin et yang, intrinsèquement lié à l’équilibre féminin-masculin.

Cette ligature semblant donc particulièrement adaptée à l’association au genre neutre, nous avons essayé de l’appliquer aux autres déterminants pour lesquels il serait nécessaire ou utile de créer une version genrée.

Pour certains cas, comme par exemple « toustes », les solutions de genre neutre ou mixte déjà en vigueur ont été préférées.

En ce qui concerne la prononciation : La ligature æ se prononçant soit “é” (ex æquo, curriculum vitæ) soit “è” (æschne), le choix de l’une ou l’autre de ces prononciations se fera d’abord selon la musicalité, ensuite selon le risque d’ambiguïté phoniques.

Vous trouverez plus loin un tableau récapitulaif et les explications de nos choix.

 

3- L’équilibre des genres dans le binôme nom/adjectif :

 

Passons maintenant aux mots eux-mêmes. Le but est donc d’être inclusif en évitant de mettre à la suite deux terminaisons différentes comme dans :

Avis à tou.t.e.s les facteurs.trices

La chose n’est pas simple.

Une première solution consisterait à créer un troisième genre, neutre, à chaque mot genré dont on voudrait une version non-genrée (un peu comme en allemand), un exemple typique en étant les noms des corps de métiers. Exemple : Facteure.

Mais cette solution serait longue et fastidieuse car il faudrait revoir un grand nombre de mots avec beaucoup de cas particuliers.

En cherchant une solution plus simple, nous avons pensé à un compromis, qui serait également une façon de souligner la complémentarité du féminin et du masculin :

Établissons que, par défaut, le masculin tient lieu de genre neutre pour les noms communs, et le féminin tient lieu de genre neutre pour les adjectifs et les participes.

Par exemple, toujours en parlant de ce même chaton dont on ignore le genre, on écrirait :

Vodka, chaton blanche âgée de trois semaines…

Ce parti pris peut sembler contre-intuitif a priori, mais il a l’avantage de créer une égalité quasi-parfaite, et même en fait d’induire un ressenti intuitif du genre neutre : En effet, en lisant un nom commun masculin associé à un adjectif féminin, si nous admettons que ce n’est pas une erreur, cela donne tout de suite le ressenti d’un mélange des genres qui les neutralise. Un nom et un adjectif de genres différents indiqueraient de facto une neutralité ou une mixité au niveau des genres.

Et cette règle ne favorise pas le genre masculin : En effet, il est vrai qu’un texte contient un général plus de noms que d’adjectifs, mais d’un autre côté, le genre féminin étant utilisé pour les participes, et donc dans toutes les situations mixtes où les sujets sont la deuxième ou troisième personne du pluriel, et donc non genrés, l’équilibre se rétablirait. Ainsi, un prof de sport s’adressant à une classe mixte avant une épreuve devrait demander :

Vous êtes prêtes ?

Et n’importe quel élève de la classe répondant au nom de ses camarades devrait répondre :

Nous sommes prêtes !

Les dialogues seraient ainsi, d’une manière générale, légèrement plus chargés en féminin, et les corps de texte légèrement plus chargés en masculin.

Il est à noter que cette dernière règle est en contradiction avec la règle de proximité. À Eukalypto nous avons choisi, pour des raisons de musicalité, de privilégier la règle de proximité quand les deux se confrontent, mais le débat reste bien entendu ouvert.

Pour résumer, dans le trinôme Déterminant/Nom/Adjectif, le déterminant serait neutre, le nom masculin, et l’adjectif féminin. Autres exemples :

Pierre et Agathe, ingénieurs françaises, sont arrivées chez iels.
Chères étudiants, vous êtes punies.
Cinq chats noires ont été aperçues sur le toit.
Tu devrais aller voir læ médecin.
Læs tourneur-fraiseurs se sont réunies pour faire grève.
Cæs grévistes sont agaçantes.

Il faudra de la pratique pour s’y habituer, ça interpellera les yeux et les oreilles pour quelque temps, mais cette solution semble un compromis défendable pour équilibrer égalité, clarté, et fluidité.

 

 
Liste des déterminants neutres
 

Articles

 

 

la/le

les

un/une

des

du/de la

des

læs

æn

dæs

dæs

 

ène

Pronoms personnels

 

 

il/elle

ils/elles

eux/elles

iel

iels

iels

i-el, iyel, ou yel

Pronoms possessifs

 

 

ma/mon; ta/ton; sa/son

mes; tes; ses

nos; vos

mæ; tæ; sæ

mæs; tæs; sæs

næs; væs 

 

le mien/le tien/le sien

le nôtre/le vôtre 

læ mien/ læ tien/læ sien

læ nôtre/ læ vôtre 

 

les miens / tiens/ siens

les nôtres/les vôtres

læs miens / tiens / siens

læs nôtres/ læs vôtres 

 

Pronoms indéfinis

 

 

chacun/chacune

aucun/aucune

tous/toutes

chacæn

aucæn

toustes

chaquène

 

touste

Pronoms démonstratifs

 

 

ce/cette

 

ces

cæ/cæt (selon lettre suivante)

cæs

 

celui/celle/ceux

celui-ci/celle-ci/ceux-ci

celui-là/celle-là/ceux-là

ciel/ciels

ciel-ci/ciels-ci

ciel-là/ciels-là

 

Pronoms interrogatifs

 

 

quel/quelle

quels/quelles

quiel

quiels

 

Pronoms relatifs

 

 

auquel/à laquelle

auxquels/auxquelles

æquiel

æquiels

équiel

duquel/de laquelle

desquels/ desquelles

dæquiel

dæquiels

 

lequel/laquelle

lesquels/lesquelles

læquiel

læquiels

 

 

 

Explications :

 D’une manière générale la solution de la ligature æ comme indicateur du genre neutre a été préférée par défaut et uniquement écartée pour des raisons d’usage, de sonorité, ou de clarté : C’est pour cela que nous avons préféré iel à æl (usage et ambiguïté phonique), et toustes à tæt (usage et clarté).

En cas de mélange des deux indicateurs, nous avons choisi d’inclure les deux pour éviter toute confusion : læquiel, dæquiel, etc.

Dans certains cas, nous avons choisi de créer un pronom neutre, même quand la grammaire classique n’avait pas prévu deux genres différents. Par exemple, mes/tes/ses deviennent mæs/tæs/sæs, et ces devient cæs : La raison de ce choix est justement d’utiliser ces pronoms pour signifier le genre neutre ou mixte, même si à la base ils ne sont pas prévus pour ça. Pour d’autres cas, comme « leur/leurs », la lourdeur de la prononciation nous a fait renoncer à ce choix.

Enfin, en ce qui concerne les déterminants pour lesquels nous n’avons pas trouvé de solution de neutralisation, nous proposons d’attribuer par défaut le genre neutre au genre féminin, comme pour les adjectifs, puisqu’ils semblent plus proches dans leur nature des adjectifs que des nom : Certaine, première, seconde, nulle, etc. Exemples :

Nulle de cæs chats n’est stérilisée.

Certaines de cæs chats sont stérilisées.

 
 

Conclusion

 

Bien sûr, il faudra du temps pour s’habituer, mais l’essentiel est d’arriver au meilleur compromis entre une belle langue et une grammaire inclusive.

Bien sûr, il y a des cas de figures que nous avons pu oublier : Nous sommes à votre écoute pour les inclure.

Bien sûr, il restera des ambiguïtés non résolues, des homonymies nouvellement créées, mais il y en a et en aura dans tous les cas dans la langue française – comme dans toutes au demeurant.

Cette charte n’a nullement pour prétention d’être parfaite ni même exhaustive ; nous n’allons même pas l’imposer à nos propres auteurs qui resteront libres d’opter pour la grammaire qu’iels veulent. Notre seul but, en tant qu’amoureux de la langue française, est de proposer un ensemble de solutions cohérent, et surtout constituant un bon équilibre entre féminin et masculin, afin que la langue française soit un meilleur mariage des genres tout en restant belle.

 

 










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