Læs Chats des toits

Eukalypto
(Roman rédigé, à l'exception des dialogues, en écriture inclusive Eukalypto. Vous pouvez trouver ici un guide de lecture concis, et la charte détaillée de cette écriture.)

Prologue 

Dans un quartier de Beyrouth, à l’intersection de la rue de l’Espoir et de la rue du Colonel, à l’intérieur du pâté de maisons créé par les immeubles Pétunia, Karam et Daoud, dans leurs appartements, toits, arrière-cours, terrasses, balcons, sous-sols, escaliers, ascenseurs, buanderies, et fourneaux abandonnés, entre février 2013 et février 2014, trente-deux chats d’une même lignée ont vu le jour, dix-sept parmi iels sont mortes, deux ont perdu un œil, un autre deux pattes, une autre sa personnalité, trois ont subi des actes de torture, un a consommé des champignons hallucinogènes, un autre du caviar premier choix, quatre ont été dévorées, un autre a fait jouir une actrice de théâtre, et la dernière s’est suicidée après de longs mois de dépression.

C’est dans l’appartement 2B de l’immeuble Pétunia qu’eut lieu la première confrontation entre la principale responsable et un habitant du quartier.

Immeuble Pétunia, appartement 2B

Dès que Georges ouvre la porte de son appartement, tenant la coque de smartphone rose et neuve destinée à Sana pour la Saint-Valentin, il tourne la tête en direction d’un bruit provenant du salon.

Il allume la lumière, scrute chaque coin de la pièce, mais ne voit rien. Il se dirige vers les rideaux bleus, les soulève, puis se retourne vers un nouveau bruit ; de sous le grand canapé de cuir, æn chat noir et blanc s’élance et court vers le balcon de la cuisine… puis, du balcon, saute sur la corniche murale… puis à l’intérieur de l’immeuble par une petite fenêtre menant vers les escaliers.

Georges suit læ chat des yeux jusqu’à ce qu’iel disparaisse. Puis il éclate de rire, et son sourire ne le quitte plus de la soirée.

Le lendemain, de retour chez lui en compagnie de Sana après leur dîner romantique, il se dirige aussitôt vers le canapé du salon. Mais il n’a pas le temps d’arriver dans la pièce que læ chat est déjà sur le balcon.

Sana, déjà dans la chambre, n’a rien remarqué.

Le troisième jour, avant de partir au travail, Georges ouvre une boîte de thon et la pose sur le sol de la cuisine. Le soir, à son retour, le thon a disparu. Et læ chat est là et se laisse approcher à moins d’un mètre, mais dès que Georges tend la main pour læ caresser, læ félin s’échappe à une vitesse de félin.

Le quatrième soir, læ chat se laisse caresser par Georges qui læ prénomme « Tom » et, trois jours plus tard, Tom rencontre Sana, venue passer la nuit chez son fiancé. La jeune femme a tout de suite une grimace de dégoût.

– Il y a un chat de rue dans ton appart !

Georges lui explique que la chose est normale, connue de lui, et l’animal fort sympathique, mais sa fiancée ne veut rien entendre et menace de quitter les lieux si la bête, potentiel nid à parasites, n’est pas confinée à l’extérieur. Penaud, Georges doit s’exécuter, ouvrant sur le balcon la boîte de thon du soir et refermant la porte-fenêtre aussitôt Tom à l’extérieur.

– D’ailleurs, ton chat c’est une femelle…

– Ah bon ? Tu es sûre ?

– Oui, je les connais un peu, ces bestioles.

Georges se tourne vers l’animal, l’air profondément songeur.

– Tu as des idées de prénoms féminins pour un chat ?

– Non, je te laisse réfléchir… Je t’attends dans la chambre.

Georges, sourcils froncés, colle son front à la vitre. La chatte s’approche. Georges s’agenouille pour se mettre à sa hauteur et les deux se fixent, à travers le carreau.

– Ticky ! Je t’appellerai Ticky !

Et tout en regardant craintivement derrière son épaule, il ouvre la porte-fenêtre pour une rapide et furtive caresse.

Une semaine plus tard, quand Georges se précipite vers la cuisine pour sa rencontre quotidienne avec Ticky, il la découvre avec une entaille sur le front. Paniqué, il appelle un ami vétérinaire pour se renseigner sur les soins possibles, mais quand il s’approche de Ticky et essaie de l’immobiliser, la chatte s’enfuit à toute vitesse et ne revient pas pendant dix jours.

Immeuble Pétunia, appartement 5A

Lorsque Mona aperçoit pour la première fois une chatte de gouttière noir et blanc, avec une tache en forme d’étoile sur le front, fouillant dans la poubelle du balcon, elle se précipite vers elle avec des cris aigus et la poêle la plus proche. La féline s’enfuit à une vitesse de féline, et saute sur la petite corniche murale qu’elle traverse pour rejoindre l’intérieur de l’immeuble par un vasistas donnant sur la cage d’escalier.

Mona reste seule avec sa colère et sa poêle, et quand son mari rentre le soir, elle râle encore après ce maudit animal venu salir son intérieur et dérégler ses habitudes. Nabil la regarde avec empathie et promet de régler son affaire à la sale bête si jamais elle s’avisait de revenir.

Trois jours plus tard, Mona surprend à nouveau l’intruse, cette fois-ci la gueule plongée dans des arêtes de poisson. Blême à la vue de l’état du sol, elle se jette en hurlant sur la chatte, qui disparaît aussitôt. Le soir, Mona informe son mari qui hoche la tête avec une mine grave et un air entendu.

Quand l’importune visiteuse revient, elle trouve un superbe morceau de foie de volaille, et s’en approche sans accorder d’importance à la caisse en bois chapeautant l’appât, retenue par une grande boîte de conserve, et garnie de clous et de tessons. Mona, à l’affût, tire alors la ficelle accrochée à la boîte mais son geste est mal maîtrisé et la boîte, au lieu de s’échapper complètement, s’écroule et roule un peu, coinçant la caisse et limitant sa chute à quelques centimètres – juste assez pour qu’un tesson entaille le front de l’animal, mais sans plus de dommages, et pas assez pour l’emprisonner.

À toute vitesse, la chatte quitte pour la dernière fois l’appartement 5A de l’immeuble Pétunia.

Immeuble Pétunia, appartement 7A

Le 18 février, Tarek rentre chez lui et pose sur le sol sa valise de voyage. Un frisson le traverse et il se dirige d’un pas rapide vers le salon, avant de fixer son regard sur la porte-fenêtre donnant sur le balcon, ouverte d’une vingtaine de centimètres. Il va vers elle et la referme rapidement. Il entend alors un bruit derrière lui, tourne la tête, et aperçoit une chatte noir et blanc, sortie de sous le grand canapé, et qui le regarde fixement… et qui regarde aussi, derrière lui, l’issue vers le balcon, maintenant bloquée. Tarek esquisse un geste, mais la féline s’élance alors, à une vitesse de féline, vers le couloir de l’entrée et, par la porte laissée ouverte, rejoint les escaliers.

Tarek éclate de rire et son sourire ne le quitte plus de la soirée.

Le lendemain matin, dès le réveil, Tarek ouvre une boîte de thon et la pose sur le sol du balcon. Dans l’après-midi, la chatte apparaît. Tarek s’approche doucement et l’animal se laisse caresser.

– Alors, mon grand, chat va ?

La chatte répond Miaou et le sourire de Tarek s’élargit.

– Hé… On dirait que chat va… Ou plutôt… Shava !

La chatte répond Miaou et cligne des paupières.

– Oui, c’est ça ! Shava !

Le courant passe assez vite entre les deux mammifères et les passages de Shava deviennent réguliers. Un jour, la féline arrive avec une entaille au front. Quand il voit ça, le primate fronce les sourcils et appelle un ami vétérinaire. Après avoir décrit la situation et la blessure, il décide de laisser le temps cicatriser la chose tout seul, comme un grand.

À partir de ce jour, Shava prend l’habitude de venir plus souvent, et même de s’asseoir sur le canapé, à côté de Tarek qui la laisse faire avec un plaisir évident, même pendant ses appels vidéo avec la belle Adeline.

– Tu me manques tellement… Comme j’aimerais être à tes côtés en ce moment… Comme j’aimerais poser ma main sur ton ventre et sentir ses premiers coups de pied…

– Bientôt mon chéri, bientôt… Mais, dis-moi… c’est un chat derrière toi ?

– Un chat de rue qui passe de temps en temps… Je te présente Shava !

– Il a l’air gentil… Il est mignon.

– Je trouve aussi.

Quelques jours plus tard, Tarek, tout en préparant sa valise, jette régulièrement des regards préoccupés en direction de la porte-fenêtre du balcon. De temps à autre, il sort et appelle : « Shava ! Shava ! », puis revient à ses bagages, se gratte la tête, regarde à nouveau vers l’extérieur.

Brusquement, son visage s’éclaire et il prend son portable :

– Marc ? Tu vas bien ? Je te dérange ? Tu m’as bien dit que ton nouveau psy est juste à deux pas de mon appart ? Génial ! Je t’explique : il y a un chat de rue qui passe chez moi de temps en temps et à qui je mets à manger… et je pars aujourd’hui au Caire pour un petit job de quelques jours… Donc je voulais voir si ça t’embêterait de passer tous les quelques jours – enfin au rythme de ton psy – et de lui mettre des croquettes… Il passe par le balcon, je laisserai la porte un peu ouverte… Oui, au septième étage, c’est fou, non ? Oui… D’accord, génial, merci beaucoup, mec. Je te laisse un double des clés chez le concierge. Prends soin de toi !

Quand Tarek raccroche, Shava est devant sa gamelle vide et le regarde. Le jeune homme lui sourit :

– C’est bon ! Tu es entre de bonnes mains !

Immeuble Pétunia, appartement 2B

Quand Ticky revient chez Georges après dix jours d’absence, ce dernier ouvre avec bonheur et excitation la boîte de pâtée premier choix spécialement achetée.

– Hé… Ticky… Il faut que je te dise… Sana va bientôt venir vivre ici avec moi et tu sais qu’elle n’aime pas trop les chats… Alors essaie de te tenir à carreau, de ne rien salir, rien déchirer, pas laisser traîner trop de poils… Tu sais, ce genre de trucs…

Et Ticky se laisse caresser, tout en restant un peu tendue.

– Dis donc… Tu ne prendrais pas un peu de ventre, toi ? On dirait que tu manges bien… Si ça se trouve, tu fais un repas chez chaque habitant de l’immeuble !

Mais quelques jours plus tard, Sana, horrifiée, donne en hurlant la raison de la transformation physique de Ticky ;

– Enceinte ! Elle est enceinte !!! Tu la chasses tout de suite, Georges ! Il est hors de question qu’elle nous chie ses mômes dans un placard ! C’est elle ou moi, Georges, je te préviens, elle ou moi !

Georges essaie de négocier, d’argumenter, d’attendrir… Mais Sana demeure à la fois inflexible et hystérique.

Mardi 12 mars, à 20h00, Ticky atterrit sur le balcon de Georges et trouve la gamelle vide et la porte-fenêtre fermée. Elle miaule et gratte la vitre, avec insistance. Georges apparaît. Il s’approche du carreau.

– Ticky… ma petite Ticky… Je… je ne sais pas quoi te dire… Je suis désolé… J’aimerais pouvoir vous garder toutes les deux… Mais elle s’est complètement butée et tu dois comprendre qu’elle m’apporte… beaucoup… Elle est chiante, c’est vrai… Mais si elle part, je resterai seul… si seul.

Ticky continue de miauler en grattant la vitre et Georges se relève, cogne le mur de son poing. La féline sursaute. Puis recommence à miauler et gratter la vitre. Le primate sort de la pièce.

Quand il revient, une demi-heure plus tard, Ticky est immobile et regarde fixement à travers le carreau. Georges lui rend son regard en secouant une tête désolée. Ticky soutient l’échange un bon moment et Georges cligne des yeux le premier. Alors, Ticky tourne fièrement la tête et repart par la corniche et le vasistas vers la cage d’escalier.

Immeuble Pétunia, appartement 7A

Quand Tarek, après une semaine d’absence, ouvre la porte de son appartement et pose sa valise sur le sol, il se dirige précipitamment vers le balcon, et regarde autour de lui dans tous les sens en appelant :

– Shava ! Shava !

Mais aucæn chat ne répond et Tarek, dépité, entreprend de déballer ses affaires.

Et ce n’est que deux jours plus tard, le 12 mars à 21h00, que Shava réapparaît enfin.

– Hé, petit chat ! Heureux de te voir ! Désolé de ne pas avoir tenu ma promesse, mais j’ai donné les mauvaises clés au concierge ! Ha, quel appétit… Tu as dû mourir de faim en mon absence… Mais tu as quand même pris du poids… Bref, écoute, tu es chez toi ici, tu peux traîner autant que tu veux ! Après tout, un seul spécimen de ton espèce ne gâchera rien d’essentiel dans ma routine.

Prologue

Dans un quartier de Beyrouth, à l’intersection de la rue de l’Espoir et de la rue du Colonel, à l’intérieur du pâté de maisons créé par les immeubles Pétunia, Karam et Daoud, dans leurs appartements, toits, arrière-cours, terrasses, balcons, sous-sols, escaliers, ascenseurs, buanderies, et fourneaux abandonnés, entre février 2013 et février 2014, trente-deux chats d’une même lignée ont vu le jour, dix-sept parmi iels sont mortes, deux ont perdu un œil, un autre deux pattes, une autre sa personnalité, trois ont subi des actes de torture, un a consommé des champignons hallucinogènes, un autre du caviar premier choix, quatre ont été dévorées, un autre a fait jouir une actrice de théâtre, et la dernière s’est suicidée après de longs mois de dépression.

C’est dans l’appartement 2B de l’immeuble Pétunia qu’eut lieu la première confrontation entre la principale responsable et un habitant du quartier.

Immeuble Pétunia, appartement 2B

Dès que Georges ouvre la porte de son appartement, tenant la coque de smartphone rose et neuve destinée à Sana pour la Saint-Valentin, il tourne la tête en direction d’un bruit provenant du salon.

Il allume la lumière, scrute chaque coin de la pièce, mais ne voit rien. Il se dirige vers les rideaux bleus, les soulève, puis se retourne vers un nouveau bruit ; de sous le grand canapé de cuir, æn chat noir et blanc s’élance et court vers le balcon de la cuisine… puis, du balcon, saute sur la corniche murale… puis à l’intérieur de l’immeuble par une petite fenêtre menant vers les escaliers.

Georges suit læ chat des yeux jusqu’à ce qu’iel disparaisse. Puis il éclate de rire, et son sourire ne le quitte plus de la soirée.

Le lendemain, de retour chez lui en compagnie de Sana après leur dîner romantique, il se dirige aussitôt vers le canapé du salon. Mais il n’a pas le temps d’arriver dans la pièce que læ chat est déjà sur le balcon.

Sana, déjà dans la chambre, n’a rien remarqué.

Le troisième jour, avant de partir au travail, Georges ouvre une boîte de thon et la pose sur le sol de la cuisine. Le soir, à son retour, le thon a disparu. Et læ chat est là et se laisse approcher à moins d’un mètre, mais dès que Georges tend la main pour læ caresser, læ félin s’échappe à une vitesse de félin.

Le quatrième soir, læ chat se laisse caresser par Georges qui læ prénomme « Tom » et, trois jours plus tard, Tom rencontre Sana, venue passer la nuit chez son fiancé. La jeune femme a tout de suite une grimace de dégoût.

– Il y a un chat de rue dans ton appart !

Georges lui explique que la chose est normale, connue de lui, et l’animal fort sympathique, mais sa fiancée ne veut rien entendre et menace de quitter les lieux si la bête, potentiel nid à parasites, n’est pas confinée à l’extérieur. Penaud, Georges doit s’exécuter, ouvrant sur le balcon la boîte de thon du soir et refermant la porte-fenêtre aussitôt Tom à l’extérieur.

– D’ailleurs, ton chat c’est une femelle…

– Ah bon ? Tu es sûre ?

– Oui, je les connais un peu, ces bestioles.

Georges se tourne vers l’animal, l’air profondément songeur.

– Tu as des idées de prénoms féminins pour un chat ?

– Non, je te laisse réfléchir… Je t’attends dans la chambre.

Georges, sourcils froncés, colle son front à la vitre. La chatte s’approche. Georges s’agenouille pour se mettre à sa hauteur et les deux se fixent, à travers le carreau.

– Ticky ! Je t’appellerai Ticky !

Et tout en regardant craintivement derrière son épaule, il ouvre la porte-fenêtre pour une rapide et furtive caresse.

Une semaine plus tard, quand Georges se précipite vers la cuisine pour sa rencontre quotidienne avec Ticky, il la découvre avec une entaille sur le front. Paniqué, il appelle un ami vétérinaire pour se renseigner sur les soins possibles, mais quand il s’approche de Ticky et essaie de l’immobiliser, la chatte s’enfuit à toute vitesse et ne revient pas pendant dix jours.

Immeuble Pétunia, appartement 5A

Lorsque Mona aperçoit pour la première fois une chatte de gouttière noir et blanc, avec une tache en forme d’étoile sur le front, fouillant dans la poubelle du balcon, elle se précipite vers elle avec des cris aigus et la poêle la plus proche. La féline s’enfuit à une vitesse de féline, et saute sur la petite corniche murale qu’elle traverse pour rejoindre l’intérieur de l’immeuble par un vasistas donnant sur la cage d’escalier.

Mona reste seule avec sa colère et sa poêle, et quand son mari rentre le soir, elle râle encore après ce maudit animal venu salir son intérieur et dérégler ses habitudes. Nabil la regarde avec empathie et promet de régler son affaire à la sale bête si jamais elle s’avisait de revenir.

Trois jours plus tard, Mona surprend à nouveau l’intruse, cette fois-ci la gueule plongée dans des arêtes de poisson. Blême à la vue de l’état du sol, elle se jette en hurlant sur la chatte, qui disparaît aussitôt. Le soir, Mona informe son mari qui hoche la tête avec une mine grave et un air entendu.

Quand l’importune visiteuse revient, elle trouve un superbe morceau de foie de volaille, et s’en approche sans accorder d’importance à la caisse en bois chapeautant l’appât, retenue par une grande boîte de conserve, et garnie de clous et de tessons. Mona, à l’affût, tire alors la ficelle accrochée à la boîte mais son geste est mal maîtrisé et la boîte, au lieu de s’échapper complètement, s’écroule et roule un peu, coinçant la caisse et limitant sa chute à quelques centimètres – juste assez pour qu’un tesson entaille le front de l’animal, mais sans plus de dommages, et pas assez pour l’emprisonner.

À toute vitesse, la chatte quitte pour la dernière fois l’appartement 5A de l’immeuble Pétunia.

Immeuble Pétunia, appartement 7A

Le 18 février, Tarek rentre chez lui et pose sur le sol sa valise de voyage. Un frisson le traverse et il se dirige d’un pas rapide vers le salon, avant de fixer son regard sur la porte-fenêtre donnant sur le balcon, ouverte d’une vingtaine de centimètres. Il va vers elle et la referme rapidement. Il entend alors un bruit derrière lui, tourne la tête, et aperçoit une chatte noir et blanc, sortie de sous le grand canapé, et qui le regarde fixement… et qui regarde aussi, derrière lui, l’issue vers le balcon, maintenant bloquée. Tarek esquisse un geste, mais la féline s’élance alors, à une vitesse de féline, vers le couloir de l’entrée et, par la porte laissée ouverte, rejoint les escaliers.

Tarek éclate de rire et son sourire ne le quitte plus de la soirée.

Le lendemain matin, dès le réveil, Tarek ouvre une boîte de thon et la pose sur le sol du balcon. Dans l’après-midi, la chatte apparaît. Tarek s’approche doucement et l’animal se laisse caresser.

– Alors, mon grand, chat va ?

La chatte répond Miaou et le sourire de Tarek s’élargit.

– Hé… On dirait que chat va… Ou plutôt… Shava !

La chatte répond Miaou et cligne des paupières.

– Oui, c’est ça ! Shava !

Le courant passe assez vite entre les deux mammifères et les passages de Shava deviennent réguliers. Un jour, la féline arrive avec une entaille au front. Quand il voit ça, le primate fronce les sourcils et appelle un ami vétérinaire. Après avoir décrit la situation et la blessure, il décide de laisser le temps cicatriser la chose tout seul, comme un grand.

À partir de ce jour, Shava prend l’habitude de venir plus souvent, et même de s’asseoir sur le canapé, à côté de Tarek qui la laisse faire avec un plaisir évident, même pendant ses appels vidéo avec la belle Adeline.

– Tu me manques tellement… Comme j’aimerais être à tes côtés en ce moment… Comme j’aimerais poser ma main sur ton ventre et sentir ses premiers coups de pied…

– Bientôt mon chéri, bientôt… Mais, dis-moi… c’est un chat derrière toi ?

– Un chat de rue qui passe de temps en temps… Je te présente Shava !

– Il a l’air gentil… Il est mignon.

– Je trouve aussi.

Quelques jours plus tard, Tarek, tout en préparant sa valise, jette régulièrement des regards préoccupés en direction de la porte-fenêtre du balcon. De temps à autre, il sort et appelle : « Shava ! Shava ! », puis revient à ses bagages, se gratte la tête, regarde à nouveau vers l’extérieur.

Brusquement, son visage s’éclaire et il prend son portable :

– Marc ? Tu vas bien ? Je te dérange ? Tu m’as bien dit que ton nouveau psy est juste à deux pas de mon appart ? Génial ! Je t’explique : il y a un chat de rue qui passe chez moi de temps en temps et à qui je mets à manger… et je pars aujourd’hui au Caire pour un petit job de quelques jours… Donc je voulais voir si ça t’embêterait de passer tous les quelques jours – enfin au rythme de ton psy – et de lui mettre des croquettes… Il passe par le balcon, je laisserai la porte un peu ouverte… Oui, au septième étage, c’est fou, non ? Oui… D’accord, génial, merci beaucoup, mec. Je te laisse un double des clés chez le concierge. Prends soin de toi !

Quand Tarek raccroche, Shava est devant sa gamelle vide et le regarde. Le jeune homme lui sourit :

– C’est bon ! Tu es entre de bonnes mains !

Immeuble Pétunia, appartement 2B

Quand Ticky revient chez Georges après dix jours d’absence, ce dernier ouvre avec bonheur et excitation la boîte de pâtée premier choix spécialement achetée.

– Hé… Ticky… Il faut que je te dise… Sana va bientôt venir vivre ici avec moi et tu sais qu’elle n’aime pas trop les chats… Alors essaie de te tenir à carreau, de ne rien salir, rien déchirer, pas laisser traîner trop de poils… Tu sais, ce genre de trucs…

Et Ticky se laisse caresser, tout en restant un peu tendue.

– Dis donc… Tu ne prendrais pas un peu de ventre, toi ? On dirait que tu manges bien… Si ça se trouve, tu fais un repas chez chaque habitant de l’immeuble !

Mais quelques jours plus tard, Sana, horrifiée, donne en hurlant la raison de la transformation physique de Ticky ;

– Enceinte ! Elle est enceinte !!! Tu la chasses tout de suite, Georges ! Il est hors de question qu’elle nous chie ses mômes dans un placard ! C’est elle ou moi, Georges, je te préviens, elle ou moi !

Georges essaie de négocier, d’argumenter, d’attendrir… Mais Sana demeure à la fois inflexible et hystérique.

Mardi 12 mars, à 20h00, Ticky atterrit sur le balcon de Georges et trouve la gamelle vide et la porte-fenêtre fermée. Elle miaule et gratte la vitre, avec insistance. Georges apparaît. Il s’approche du carreau.

– Ticky… ma petite Ticky… Je… je ne sais pas quoi te dire… Je suis désolé… J’aimerais pouvoir vous garder toutes les deux… Mais elle s’est complètement butée et tu dois comprendre qu’elle m’apporte… beaucoup… Elle est chiante, c’est vrai… Mais si elle part, je resterai seul… si seul.

Ticky continue de miauler en grattant la vitre et Georges se relève, cogne le mur de son poing. La féline sursaute. Puis recommence à miauler et gratter la vitre. Le primate sort de la pièce.

Quand il revient, une demi-heure plus tard, Ticky est immobile et regarde fixement à travers le carreau. Georges lui rend son regard en secouant une tête désolée. Ticky soutient l’échange un bon moment et Georges cligne des yeux le premier. Alors, Ticky tourne fièrement la tête et repart par la corniche et le vasistas vers la cage d’escalier.

Immeuble Pétunia, appartement 7A

Quand Tarek, après une semaine d’absence, ouvre la porte de son appartement et pose sa valise sur le sol, il se dirige précipitamment vers le balcon, et regarde autour de lui dans tous les sens en appelant :

– Shava ! Shava !

Mais aucæn chat ne répond et Tarek, dépité, entreprend de déballer ses affaires.

Et ce n’est que deux jours plus tard, le 12 mars à 21h00, que Shava réapparaît enfin.

– Hé, petit chat ! Heureux de te voir ! Désolé de ne pas avoir tenu ma promesse, mais j’ai donné les mauvaises clés au concierge ! Ha, quel appétit… Tu as dû mourir de faim en mon absence… Mais tu as quand même pris du poids… Bref, écoute, tu es chez toi ici, tu peux traîner autant que tu veux ! Après tout, un seul spécimen de ton espèce ne gâchera rien d’essentiel dans ma routine.


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